Fortunée Hamelin : portrait d’une Merveilleuse

Fortunée Hamelin, “influenceuse” du Directoire ?

 “Madame Hamelin tenait une des premières places parmi les élégantes, aimables et spirituelles vedettes du Tout-Paris mondain. Zélatrice de la mode, la mode en avait fait l’une des femmes les plus en vue, et il n’était pas de fêtes où elle ne vînt briller par sa verve étincelante et sa beauté du diable […] Pétillante d’animation, elle s’adonnait à des intrigues politiques, parfois à des intrigues amoureuses, s’appliquant à toutes choses avec un malicieux entrain”.Cette description que fait Guy de Montbel de Fortunée Hamelin annonce la couleur. Reprenant la correspondance entre son grand-père, le Comte de Montbel, ministre de Charles X sous la Restauration, et Mme Hamelin, Guy de Montbel publie un portrait de la Merveilleuse, en 1922, dans la “Revue des Deux Mondes” intitulé La Dame de la rue Blanche : Fortunée Hamelin.

Figure discrète de l’histoire de France, Fortunée Hamelin était, comme le laisse entendre Guy de Montbel, l’une des personnalités phare de son époque. Cette jeune créole, connue pour son esprit libre et son avant-gardisme, fut l’une des propriétaires de l’hôtel où notre marque a, aujourd’hui, élu domicile. A ce titre, Fortunée Hamelin est l’une des muses de Bourrienne Paris X. Pour lui rendre hommage, nous lui dédions cet article qui retrace son parcours pour le moins extraordinaire.

De son enfance heureuse aux Antilles à ses débuts peu glorieux en métropole

 C’est sur l’île de Saint-Domingue, alors la principale colonie française d’outre-mer, que Jeanne Geneviève Fortunée Lormier-Lagrave voit le jour le 25 mars 1776. Elle est la fille d’un notable de l’île, le sieur Jean Lormier-Lagrave. Elle grandit et s’épanouit, heureuse, sous les tropiques jusqu’à l’âge de onze ans, lorsque son père décide de l’envoyer en métropole avec sa mère pour parfaire son éducation, mais surtout lui trouver un bon parti pour la marier le plus vite possible.
Elle arrive avec sa mère par bateau à Bordeaux en 1788, avant de rejoindre la capitale, ville d’origine de sa mère, deux ans plus tard. Là-bas, elle entre dans une pension religieuse et apprend les rudiments de vie essentielles aux jeunes aristocrates de l’époque : la lecture, la broderie… Fortunée se révèle dans l’amour de la lecture et son sens de la conversation. Cependant, habituée à la nature et à sa liberté, cette nouvelle vie cloîtrée et contenue ne semble pas du tout convenir au caractère de la jeune fille.
A l’âge de quatorze ans, elle est présentée au fils d’un ancien premier commis du Contrôle général, Romain Hamelin, de huit ans son aîné. Si le jeune Romain est relativement insignifiant pour Fortunée, il possède une fortune solide dans laquelle Fortunée entrevoit la possibilité de renouer avec son indépendance passée. Leur mariage est conclu, telle une entreprise commerciale rondement menée, le 10 juillet 1792.

Fortunée Hamelin, la Merveilleuse du 58 rue d’Hauteville

 L’hôtel aujourd’hui connu sous le nom d’hôtel de Bourrienne fut acheté par le père de Fortunée le 12 mars 1792. A la mort tragique de ce dernier, deux ans plus tard, en 1794, Fortunée hérite de cet hôtel parisien où elle s’installe avec son mari. C’est à cette même époque que le régime de la Terreur tombe, laissant place à la frivolité du Directoire. Une véritable bouffée d’air frais pour la jeune créole, qui peut désormais s’exprimer pleinement, sans censure aucune. Elle tient de somptueux salons où se réunit la crème de la crème de l’élite parisienne. Très vite, Fortunée Hamelin entre dans le club très sélect de la jeunesse dorée de l’époque, les Merveilleuses, jusqu’à en devenir une figure de proue aux côtés de Mesdames de Beauharnais, Tallien et Récamier. Elle entretient avec ces femmes à la beauté remarquable des relations complexes, oscillant entre amitié et rivalité. Cependant, si ses rivales étaient d’apparence plus belles, Fortunée les surpassait en charisme et ne laissait personne insensible.

En effet, l’apparence de la jeune femme détonne dans ce petit milieu mondain parisien. Les rumeurs commencent à fuser. D’après elles, Fortunée passait pour être née des amours de son père avec une mulâtre libre de Saint-Domingue. Cette théorie expliquerait, selon ses détracteurs, son teint “basané” et son physique singulier, au vu des standards de beauté de l’époque , qui lui valu le surnom de “la jolie laide”. La comtesse de Bassanville la décrivait ainsi : “Sa figure était plus originale que belle. Elle portait le type créole fortement accentué. Elle avait un teint très brun, des lèvres rouges et épaisses, des dents blanches et pointues, des cheveux noirs magnifiques, une taille de nymphe, un pied d’enfant et une grâce extraordinaire qui la rendait presque l’égale des reines de beauté du jour”. Cela n’empêche pas notre Merveilleuse d’avoir de nombreux amants, et pas des moindres : le Comte de Montrond, le maréchal d’Empire Mormont, ou encore Chateaubriand…

Fortunée Hamelin, reine du Directoire et fashion victime

 Fortunée Hamelin s’est également imposée comme pionnière en matière de mode. Avec son amie Joséphine de Beauharnais, elle fait et défait la mode, rivalisant d’excentricités et d’ingéniosité. Selon le portrait que Guy de Montbel brosse d’elle, “on imita ses manières et sa mise, on copia ses coiffures Titus, à la Caracalla, ses tuniques à la Flore, à la Diane, au lever d’Aurore, ses cothurnes, cette partie si importante de la toilette d’une Merveilleuse. […] Mme Hamelin put même s’enorgueillir d’une réforme d’importance : ce fut elle qui rétablit le port des chemises”. Une coïncidence heureuse pour notre marque spécialiste de la chemise, qui continue ainsi de faire vivre l’esprit de Fortunée, près de deux siècles après sa disparition.

Néanmoins, à trop pousser l’expérimentation du style, Fortunée n’échappe pas au fashion faux-pas. Quelques jours après le 2 messidor de l’an V (20 juin 1797), on peut lire dans toute la presse le scandale dont Mme Hamelin fait l’objet : “Deux jeunes femmes descendent d’un joli cabriolet, l’une mise décemment, l’autre les bras et la gorge nus, avec une seule jupe de gaze sur un pantalon couleur de chair. Elles n’ont pas fait deux pas qu’elles sont entourées et pressées. La femme à demi-nue est insultée, l’un tire sa jupe, l’autre la regarde sous le nez ; un troisième lui fait un mauvais compliment. Enfin, comme nous sommes très pudibonds, personne ne put voir sans indignation l’indécente tournure de cette dame de la ‘Nouvelle-France’. Un honnête homme lui offrit son bras pour la tirer de la foule et la reconduire à sa voiture où l’on ne voulait pas la laisser monter. Il fallut invoquer la force publique ; et le cabriolet partit au bruit des huées des spectateurs.”. La rumeur veut que pour fuir le scandale, elle rejoint son mari en Italie où se trouve également sa bonne amie Joséphine et son mari, Napoléon Bonaparte.

Fortunée Hamelin, une bonapartiste convaincue

 Les succès militaires de Bonaparte ne font que galvaniser l’enthousiasme de Fortunée vis-à-vis la cause bonapartiste. Elle fait partie de ses soutiens les plus fidèles, et ce, même après sa chute. Sous l’Empire, Fortunée s’engage dans la police politique dont l’objectif était de détecter tout signe d’opposition au régime. Napoléon prêtait une grande attention aux rapports de Mme Hamelin. A la chute de ce dernier, elle mène une guerre d’influence contre les Bourbons revenus au pouvoir, au point d’être invitée à quitter Paris par les autorités. En novembre 1815, Fortunée s’installe à Bruxelles.

Le retour peu triomphal à Paris : le début de la fin

 Elle obtient de son ancien ami, le Duc de Richelieu, Président du Conseil des ministres français, l’autorisation de rentrer à Paris, à une condition, celle de devenir indicatrice, soit une espionne d’opinion, pour la couronne récemment restaurée. L’insulte ultime pour cette bonapartiste engagée. Elle accepte cependant, car la vie parisienne lui manque terriblement. Elle s’installe rue Blanche et tient de nouveau salon.

C’est vers cette époque qu’elle se lie d’amitié avec Honoré de Balzac ou encore Victor Hugo qu’elle eut l’occasion d’héberger alors qu’elle habitait vers la Tour d’Auvergne à la fin des années 1840.
Durant les dernières années de sa vie, les problèmes financiers auxquels l’ancienne Merveilleuse est confrontée viennent ternir peu à peu son éclat qui s’estompe progressivement pour finalement s’éteindre le 29 avril 1851. Elle est inhumée au cimetière du Père Lachaise après une messe à l’église Notre-Dame-de-Lorette.

Une chose est sûre, Fortunée Hamelin est restée fidèle à ses idéaux et a conservé une grande liberté matérielle bien sûr mais surtout spirituelle, à une époque où la condition des femmes ne leur offrait que peu de possibilités d’évolution. C’est à ce titre qu’elle demeure l’une des grandes inspirations de l’univers de notre marque : une femme singulière sous toutes ses formes.