L'histoire des cols de chemises
Il était une fois…l’histoire des cols de chemise
Le col, ce petit bout de tissu qui enveloppe le cou, qui définit en grande partie l’allure d’une chemise, a connu de nombreuses évolutions au cours de l’histoire. Tantôt discret ou carrément extravagant, il a été déterminant dans la popularisation de la chemise blanche lui permettant réellement de se “hausser du col” afin de devenir l’une des pièces indispensables de notre vestiaire. Retour sur son histoire.
Quand la chemise commence à “se pousser du col”
Le “collet” fait son apparition en Europe au début de la Renaissance, plus précisément à la fin du XVe siècle. Il devient la seule partie visible de la chemise blanche qui peinait encore à se montrer aux yeux de tous, cachée sous d’autres étoffes. Au départ très simple et arboré principalement par les hommes de foi, le col est un symbole d’humilité et de pureté. Il est progressivement intégré dans la garde-robe de la noblesse qui va en faire un véritable phénomène de mode. De par cette exposition au public, le col de chemise se devait d’être travaillé et impeccable.
Durant la première moitié du XVIe siècle, le col est d’abord remonté le long du coup et bordé de fronces, donnant l’aspect d’une petite fraise, avant d’être rabattu sur les bords dans le courant des années 1530. Quelques décennies plus tard, aux alentours de 1550, le col rabattu s’allonge légèrement pour avoir la taille que nous connaissons aujourd’hui sans pour autant correspondre au col moderne, développé plusieurs siècles plus tard au XIXe siècle. En effet, le rabat tient plus de la suspension du tissu, aucun pli n’étant présent pour donner l’aspect net que nous avons l’habitude de voir de nos jours. Il est particulièrement visible, car il se détache du costume sombre et austère qui est propre à ces années.
Attribué à François Quesnel, Portrait de Henri III, vers 1580, huile sur bois, 66×52 cm, Musée du Louvre |
Néanmoins, chez les courtisans et autres gentilshommes, la tendance de la fraise se substitue un temps au col. Pour autant, ce dernier ne disparaît pas complètement. Il apparaît encore notamment sur des portraits d’hommes de métier, à savoir des hommes de lettres, de droit et de sciences, mais aussi des dévots, principalement des Protestants. Le col à rabat revient à la cour du roi de France suite à la Contre-Réforme, la réaction de l’Eglise catholique face à la Réforme Protestante, qui s’accapare de cet élément distinctif des Protestants. Cette tendance marque en quelque sorte le retour d’une certaine austérité vestimentaire qui ne va pas durer si longtemps.
Luxe et extravagance : l’évolution du col au XVIIe siècle
Au fil du XVIIe siècle, le col devient de plus en plus un objet de luxe, il se diversifie au niveau des matières et s’orne de détails de plus en plus sophistiqués, telles que de la dentelle en reticella. Cela est surtout le cas en Angleterre, où les membres de la cour se font tirer le portrait arborant des cols au rabats plus importants, richement décorés de dentelles, rappelant un peu les fraises. Dès lors, ce petit bout de tissu se fait étendard de la position sociale, reflétant la richesse de celui qui le porte. Nobles et grands bourgeois, récemment enrichis, rivalisent de créativité, lançant des modes, de plus en plus extravagantes, afin d’asseoir leur position au sein de cette société ultra-hiérarchisée. Le col s’étend sur les épaules, s’empèse – c’est-à-dire se rigidifie – et s’élève en col monté pour tenir comme en apesanteur autour cou de son hôte, lui donnant un port altier. Le col monté prend progressivement la forme d’un plateau rigide, assez large, doté de dents en dentelles caractéristiques du début du XVIIe siècle. Du fait de l’extravagance de ces pièces, il arrivait parfois qu’elles puissent être dissociées du corps de la chemise.
Frans Pourbus le Jeune, Portrait de Louis XIII, vers 1616 |
L’évolution du col dans les différents royaumes d’Europe est révélatrice de nombre de développements sociétaux de chacun, notamment sur le plan religieux. Alors que le puritanisme protestant s’étend et s’impose dans le Nord de l’Europe, les cols ont tendance à rester plus raisonnables, en termes de tailles et même d’ornements, que dans les pays sudistes, notamment le royaume de France. Dans la cour française, les rabats, toujours empesés et parfois dentelés, s’affaissent donnant naissance au grand col à rabat recouvrant les clavicules puis la totalité des épaules. Ce type de col est particulièrement représentatif du règne de Louis XIII.
Philippe de Champaigne, Louis XIII roi de France couronné par la Victoire, 1635, huile sur toile, 228×175 cm, Musée du Louvre |
Le retour à la mesure et la sobriété à la fin du XVIIe siècle
A mesure que le siècle s’écoule, les rabats se réduisent avant de s’allonger à la verticale, couvrant le haut de la poitrine. C’est à peu près à la même période les cols rabattus commencent à être supplantés par l’ancêtre de la cravate, introduite par les mercenaires Croates mandatés par Louis XIII et Louis XIV pour combattre aux côtés de l’armée française. Le col rabattu est relégué aux habits de fonction des hommes d’églises, des magistrats et des ministres.
Pierre Lacour, René-Nicolas-Charles-Augustin de Maupeou, chancelier de France, vers 1750, huile sur toile, 134×103 cm, Château de Versailles |
A partir du XVIIIe siècle, l’encolure de la chemise redevient très sommaire, plus ou moins plongeante, aux rebords moins empesés qu’à l’époque, qui se refermait à l’aide d’une bande de tissu, soit une lavallière soit une régate (l’ancêtre de la cravate).
L’avènement des cols modernes à l’ère industrielle
Le XIXe siècle marque une étape cruciale dans la voie vers la modernité, sur le plan technique avec la Révolution industrielle, mais aussi sur le plan social et donc vestimentaire – si l’on considère le vêtement comme la matérialisation de l’état d’une société. Comme nous l’avons mentionné dans notre article sur l’émancipation de la femme, c’est à cette époque que le costume masculin devient plus sobre et avec lui, la chemise, pièce majeure de ce costume, se structure. Les premiers tailleurs fleurissent en France et en Angleterre. La chemiserie est quasiment élevée à l’état de science. Chacune de ses composantes est étudiée, repensée pour correspondre à l’esprit du temps, à la modernité. Les cols n’échappent pas à cette dynamique.
L’une des avancées majeures dans l’univers de la chemiserie survient au début du XIXe siècle. Nous sommes dans les années 1820, à Troy, aux Etats-Unis. Hannah Lord Montague y est femme au foyer. C’est elle qui s’occupe des tâches ménagères, notamment de la lessive de son mari qui porte des chemises blanches. Constatant que la saleté se concentre surtout au niveau du col, elle décide de détacher tous les cols des chemises de son mari et y ajoute une boutonnière à l’arrière ainsi qu’un bouton juste au-dessus de l’empiècement dos. Sans le savoir, celle qui voulait simplement gagner du temps sur son ménage vient de révolutionner l’industrie de la chemise. Quelques années plus tard, en 1827, les cols amovibles sont produits en masse, dans tous les styles, comme on peut le voir sur cette planche publicitaire du chemisier Cluett basé à Troy. De nouvelles formes de cols sont définies et codifiées par les tailleurs, le plus souvent britanniques ou américains. Les cols à rabats pliés côtoient ainsi les cols cassés, ou hauts du type officier ou ancien tubulaire qui remonte sur la totalité de la hauteur du cou. La majorité des cols que nous connaissons aujourd’hui ont été inventés entre 1880 et 1910.
Avec l’industrialisation des cols amovibles se renforce le symbolisme social de ces derniers. En effet, les “cols blancs” désignent les cadres travaillant dans les bureaux, en opposition au “cols bleus” qui font référence aux ouvriers.
Au début du XXe siècle, le col s’intègre de nouveau sur le corps de la chemise.
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